Rino Della Negra | Red Star Football Club
Rino Della Negra, du ballon rond à Louis Aragon
Rino Della Negra, du ballon rond à Louis Aragon
Fils de briquetier. Les origines modestes d’un homme peuvent donner corps à des destinées absolument incomparables. Celle de Rino Della Negra fut brève. Vingt et une années, c’est court pour laisser une trace dans l’histoire. S’il était né aujourd’hui, peut-être Della Negra aurait-il pu s’éveiller paisiblement au ballon. Puis il aurait peut-être succombé à la starification du grand barnum mediatico-économique du football contemporain, à la faveur d’un transfert scintillant au Milan ou à la Juve, puisque le jeune homme était fait pour ça. Mais Rino Della Negra naît en 1923. Ses parents ne courbent pas l’échine face à la répression des chemises noires de Mussolini, qui persécutent ceux qui n’embrassent pas l’idéologie fasciste. Les Della Negra choisissent l’exil. Les valises se posent finalement à Argenteuil. Le petit Rino a trois ans.
Le choix de la clandestinité
Puisqu’il allait plus vite que tout le monde en filant balle au pied sur son aile droite, Della Negra attire la convoitise du club phare de la région. Il quitte la Jeunesse Sportive Argenteuillaise pour rejoindre le prestigieux Red Star Olympique, qui vient de gagner la Coupe de France 1942. C’est toutefois un autre transfert qui donnera un caractère historique à son existence. Réquisitionné, il doit travailler dans une usine allemande dans le cadre du S.T.O, le service du travail obligatoire. La clandestinité s’impose à lui. Il rejoint le réseau des Francs-Tireurs et Partisans-Main d’oeuvre immigrée (FTP-MOI), l’une des organisations de lutte armée du Parti Communiste français. Quand il termine les entraînements du Red Star, c’est pour participer à l’exécution du général Von Apt, détruire le siège central du parti fasciste italien à Paris, ou s’attaquer à des convoyeurs de fonds allemands, comme ce 13 novembre 1943, au 56 de la rue Lafayette. Au cours de cette attaque, Della Negra est blessé par balle et arrêté par la Brigade Spéciale 2, une police française spécialisée dans la traque aux ennemis intérieurs, pilotée par les Renseignements Généraux, à la solde de la Gestapo. Trois jours plus tard, Missak Manouchian, la tête du réseau, est appréhendé sur les berges de la Seine, près de la gare d’Evry.
« L’affiche Rouge »
Le réseau de Manouchain démantelé, la cour martiale du tribunal allemand du Grand-Paris condamne à mort ses vingt-trois membres le 15 février 1944, et exhibe dix d’entre eux sur une affiche de propagande de masse. L’Affiche Rouge stigmatise les origines étrangères de ces « terroristes ». Couleur sang, elle veut soumettre à l’opprobre populaire un « Espagnol rouge », deux « juifs hongrois », cinq « juifs polonais » (1), un « communiste italien », et un « Arménien chef de bande », Manouchian, à qui sont imputés l’ensemble des 56 attentats, 150 morts, et 600 blessés reprochés au réseau. Selon Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, « les Allemands souhaitent profiter de cette vaste rafle pour lancer une campagne de propagande antisémite et xénophobe. Tel est l’objet de « l’Affiche rouge » placardée au moment où 23 membres du groupe sont jugés. Elle manquera son but puisque l’affiche suscitera un grand mouvement de sympathie dans la population et restera comme le symbole du combat des étrangers contre l’Occupation ». (2)
Un symbole brandit par Louis Aragon, dans son poème « Strophes pour se souvenir », popularisé par Léo Ferré sous le titre « L’Affiche Rouge », qui prend toute son émotion dans la dernière lettre poignante envoyée par le condamné Manouchian à sa femme. Fusillés au fort du Mont-Valérien le 21 février 1944 (3), Manouchian part sans « aucune haine pour le peuple allemand et qui que ce soit », tandis que Rino Della Negra transmet à son petit frère un message plus modeste : « Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star ». Le talent de Della Negra ne put s’épanouir, par la faute d’un étrange paradoxe : il était l’un de ces étrangers qui luttaient pour la libération de la France, et furent traqués et arrêtés par la police française pour les livrer aux balles allemandes…
Michaël Grossman
(1) La nationalité française de Robert Witchitz ne servait pas les intérêts prosélytes allemands.
(2) www.culture.gouv.fr
(3) Olga Bancic ne fut pas fusillée, usage jugé inapproprié à la gent féminine. Incarcérée à Karlsruhe, elle fut guillotinée le 10 mai 1944 à Stuttgart.
A lire sur le sujet :
• La page Wiki consacrée à l’Affiche Rouge
• « L’Affiche Rouge » de Louis Aragon
• La dernière lettre de Missak Manouchian