C'était donc vendredi dernier, vers 19 heures 30, le long de l'avenue Michelet, une vieille connaissance, qui connaissait mieux l'histoire de France que le ballon, mais qui vous aurait situé Colomiers sur une carte muette les yeux fermés. A ma gauche, j'ai laissé la rue Voltaire, qui est ce mois-ci au hit parade des ventes en librairie avec son Traité sur la tolérance ; puis la rue Biron, qui est un paysan cantalou enrichi par le commerce des bestiaux. Je me suis enfin engagé dans la rue du docteur Bauer, qui est un admirable médecin résistant. Et je me disais que nous n'étions pas nombreux à venir au stade par cette soirée déjà froide dont le match n'était certainement pas le plus attirant ni le plus important de l'année.
Et pourtant, c'est typiquement ce genre de match qui forge et entretient la passion du football, par une espèce d'ingratitude heureuse. Ce fragment de la rue du docteur Bauer m'a soudain rappelé mon enfance, mes treize ans, quand j'allais voir des matchs comme Stade-Français/ Valenciennes qui s'appelait à l'époque Valenciennes-Anzin afin d'intégrer l'héritage ouvrier des mines de charbon, dans un Parc des Princes ceint d'un anneau en ciment rose, la piste qui accueillait les arrivées du tour de France cycliste.
Un peu de monde aux guichets, un peu de monde devant le bar, l'Olympic, le monde retrouvait ses bases et moi une barquette de frites bien dorées. Il n'y avait plus qu'à se laisser bercer. Dans les tribunes, j'apercevais Galtié et l'Ange Vert frigorifié venus espionner le Red Star, et je me disais qu'en quinze saisons de joueur professionnel Galtié n'avait marqué qu'un but. Le match pouvait commencer, et bien commencer puisque dès la 6 eme minute Hameur Bouazza marquait un joli but salué comme il se doit par les supporters. Il éclaboussait la rencontre de sa classe, par ses courses, ses contrôles, ses déviations, et rien que pour ça les absents – on le sait – ont toujours tort. Il faut dire qu'Hammer connaît la chanson, il n'a pas commencé sa carrière pour rien à Watford, A la seconde où le marteau frappe/ La réalité court le long de ton échine, et à la 72 eme il en marquait un deuxième – qui était le troisième de l'équipe.
Il faisait toujours aussi froid et le Red Star avait donc gagné ce match où il fallait prendre trois points dans la perspective de la montée en ligue 2. La remontée sur le podium était la cerise sur le gâteau, surtout avec un match en moins, peut-être deux si la rencontre à Epinal, sur le stade Chemin du petit chaperon rouge, est reporté à cause de la neige.
Je n'avais plus qu'à saluer mes copains, remonter l'avenue Michelet jusqu'au boulevard des maréchaux, laissant cette fois la rue Biron et la rue Voltaire sur ma droite. Le 1/8 eme de finale contre Saint-Etienne se profile. Allegro et Cros ont déja le coeur qui bat la chamade, les autres joueurs aussi, c'est un cadeau qu'ils se font, qu'ils nous font et, les cadeaux, ça ne se refuse pas. Depuis la nuit des temps, c'est même ce qui fonde les échanges entre les hommes.