Le Regard de Chambaz

Le Regard de Chambaz | Red Star Football Club

La 10ème chronique de l'écrivain en résidence

  Ne jamais crier victoire trop vite. Ne jamais vendre la peau de l'ours (avant de l'avoir tué, l'ours). Ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Ne pas présager de l'avenir. Ne pas rêver qu' « on » allait gagner à Chambly. 

  Oui, je les ai souvent entendus ces conseils, mais franchement je n'ai pas vendu la peau de l'ours et j'ai quand même le droit de présager de l'avenir. Pour le reste, il faut bien reconnaître début décembre que le classement du National est extrêmement serré et que « nous » sommes toujours dans ce que les cyclistes nommeraient le peloton de tête. Après la quatorzième journée, trois points seulement – autrement dit une simple victoire – séparent le deuxième et le neuvième de ce classement. Rien à voir avec les saisons précédentes. La comparaison est édifiante (j'ai vérifié). Et l'optimisme (rai­sonné) peut rester de rigueur. 

  Début décembre, le climat est devenu enfin de saison, plus rigoureux – comme l'op­timisme. C'est là aussi que le « foot » devient une affaire sérieuse, passionnée, au­tant pour ceux qui y jouent que pour ceux qui regardent et supportent non seulement leur équipe mais le froid. Rude époque pour les gardiens – même pour Julien Darui.

  Elu meilleur gardien du siècle par L'Equipe – meilleur gardien français, je suppose, Darui est un gamin né au Luxembourg pendant la première guerre, vainqueur de la Coupe avec le Red Star pen­dant la seconde. Le petit luxembourgeois qui reste en des­sous d' 1 mètre 70 sous la toise est ainsi un des premiers naturalisés qui ont fait la gloire du football hexagonal. Il avait débuté à l'Olympique Charleville avec son com­père Helenio Her­rera le magi­cien qui l'accompagnera à Saint-Ouen et Arthur Rim­baud le voyant qui préféra vendre des armes et de l'or au Harrar et y perdit une jambe. Si le poète est res­té – à la façon d'un ailier – l'homme aux semelles de vent, Darui passe pour avoir été l'homme volant. 

  A part ses plongeons, Darui excellait dans les relances, au pied comme à la main. Et –lui – il finira bien sur ses deux jambes, mais engagé par le cirque Pinder, sur la piste sinon sur le sable, afin d'arrondir ses fins de mois et se constituer un pécule, applaudi par un public ravi de l'aubaine entre Monsieur Loyal, les clowns, les fauves et la grosse caisse, payé pour arrêter les pénaltys tirés par des complices. Il garde ces drôles de cages pendant une saison, en 1957, l'année où le gouvernement met en place les re­traites com­plémentaires et où son collègue Camus reçoit le prix Nobel. Puis il ouvre un débit de boissons dans la capitale du kir (un tiers de crème de cassis deux tiers de bourgogne aligoté d'après les mieux instruits). Il y demeure encore trente ans, restant finalement sur cette bonne vieille terre un an de moins que Chayri­guès, celui à qui il aura succé­dé dans les cages audoniennes et dont il se sera beau­coup inspiré.

  Et, j'oubliais, même s'il ne faut pas présager de l'avenir, la météorologie nationale annonce des risques de neige entre samedi et lundi à Forbach.

Bernard Chambaz



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